Article posté dans Humeurs le 29/06/2009 à 00:00 par Jérôme Baudoin
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J’aime bien marcher dans les vignes, aller regarder ce qui se trame entre les rangs. Dans ces arrière-cuisines de la viticulture. Et au printemps, au moment où la nature reprend ses droits, il se passe des choses intéressantes, pas toujours très glorieuses. Évidemment, l’herbe pousse, et là, franchement le rouge me monte au nez. Car derrière ces chais flambant neufs qu’on souhaite toujours nous montrer, à nous journalistes, comme la dernière merveille, il y a l’arrière-cuisine, la vigne, l’endroit où le vigneron évite de vous emmener lorsqu’il a quelque chose à cacher. D’où l’intérêt d’y aller par soi-même.
Il suffit d’arpenter le plateau de Saint-Emilion, à deux pas du village. L’un des plus beaux terroirs qui soit. Un paysage viticole unique, classé au patrimoine de l’UNESCO et donc censé être protégé, préservé par ceux qui l’entretiennent et le sculptent depuis plus de deux mille ans, au même titre que ces chênes méditerranéens qui caractérisent le coteau, au-dessus de Pavie. Malheureusement, on ne peut que le constater, ces vignes sont cultivées comme celles d'un vulgaire bordeaux vendu en vrac. Eh oui, chers amateurs de beaux terroirs, de belles bouteilles, voici les vignes de château Canon (photo 1). Propres, bien désherbées sous le rang. Une belle ligne jaune qui tranche avec le vert de l’herbe entre les rangs. Et là, on se demande bien ce qui pousse un propriétaire à désherber. Économiser quelques centimes sur les coûts de production ? Triste calcul lorsque l’on sait qu’une bouteille de château Canon 2007 sortait à 30 € en primeur. Le risque d’érosion des sols peut-être, comme souvent veulent nous le démontrer certains vignerons ? Mais le voisin immédiat de Canon, château Belair (aujourd’hui rebaptisé Belair-Monange) est en labour intégral des sols, sans usage de désherbants et cela sur un terroir au relief similaire.
Et qu’en est-il de la qualité du terroir, lorsque l’on sait que ce genre de pratiques favorise l’enracinement superficiel de la vigne au détriment d’un enfoncement en profondeur des racines et radicelles, protégeant ainsi les ceps contre les variations climatiques, le stress hydrique et certaines maladies ? Et au-delà, peut-on encore nous seriner les oreilles avec la complexité du terroir dès lors qu’une vigne est implantée dans 30 cm de terre sans vie ? À croire que certains se satisfont de rouler en Ferrari avec de l’huile de friture dans le moteur.
Et château Canon n’est pas un cas isolé. À un jet de pierre au nord, à Pomerol, château Nenin (Photo 2) désherbe sous le rang et laboure un rang sur deux, sur la parcelle devant le château. Mais le pompon est à admirer dans le Médoc, à Pauillac : ce sont les vignes de Pédesclaux (photo 3). En sortant de Pauillac en direction de Saint-Estèphe, à l’angle de la route départementale qui mène à Hourtin, Mouton Rothschild et Pontet-Canet. Stricto sensu, cette parcelle possède l’un des plus beaux terroirs du coin. Mais voilà, des décennies de productivisme acharné à moindre coût sont imprimées à même le sol. Une terre dure comme du béton où les herbes crevées côtoient de vieilles canettes.
Peut-on encore se prévaloir de l’excellence en affichant « cru classé » sur l’étiquette de son vin dans ces conditions ? Il serait peut-être temps, chers producteurs bordelais, alors que les consommateurs demandent une meilleure prise en compte des questions environnementales, d’interdire ce type d’usage pour les crus les plus prestigieux, comme on interdit les vendanges à la machine.
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Malheureusement ce coup de gueule, qui permettrait de redonner un peu de clairvoyance aux producteurs (peu scrupuleux d'entacher l'image du vin et le sérieux de la profession quand les classement de leurs crus leurs suffisent), n'est publié que dans le seul blog de la revue pour lequel J.Baudoin travaille. Comme le faisait remarquer un internaute : "...ça devrait faire l'objet d'un gros titre de première de couverture du magasine et ne pas être réduit à quelques lignes judicieuses d'un blog..." (Anonyme). Bon et bien il est maintenant sur mon blog, et quand bien même cela ne fera pas progresser le schmilblik, il sera utile de le savoir et de le faire savoir....d'ici que tout le monde râle au scandale, peut être qu'un guide du consommateur aura l'éclair de rédiger un petit billet autour de cette malversation (au sens figuré comme au sens littéral, n'ayons pas peur des mots !) ?
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